Discours merveilleux et véritable, d'un Capitaine de la ville de Lyon, que Satan a enlevé dans sa chambre, depuis peu de temps

Fleury Bourriquant: Paris, pp. 9-13. [B.M. Poitiers, E183(2)], 1613
s1Deliyannis, Y.: "1613: Lyon (France) - Meeting with two men dressed in black.", Magonia Exchange, 22 avril 2008

Dans lequel est contenu comment tout s'est passé. Avec allégations d'histoires sur ce subject.

Le texte d'origine
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Mais hélas, ô horreur et frayeur ! La présente Histoire (très-funeste et épouvantable nous fournit un sujet de ce que dessus, fort triste et lamentable, d'un de la fameuse cité de Lyon, lequel on nommait le Capitaine Lyon, qui a été enlevé du diable, entre 10 et 11 heures du soir, lui étant dans sa chambre, les fenêtres et porte bien fermées : Celui-ci était de pauvre maison, presque inconnue du commencement, et menuisier de son état : mais étant porté d'ambition et d'orgueil, tacha d'avancer sa fortune à quelque haut degré ; et quittant son métier, s'adonna à suivre la guerre, qui étoit assez allumée en ce temps là, par la funeste ligue : et en peu de temps (outre l'opinion commune) s'avança, sans que l'on put appercevoir par quel moyen il se haussait ainsi de jour en jour, en argent et habits de toutes sortes : tellement qu'il paraissait, au grand étonnement de chacun, non pas un menuisier, ou soldat, mais comme un seigneur et grand renté gentilhomme : si bien qu'on ne parlait par la ville de Lyon, et des environs, que de ce Capitaine Lyon, qui était plus Capitaine de piaffe et d'orgueil, que d'armes et d'effet, changeant tous les jours de nouveaux habits, fort somptueux : ordinairement aux tavernes, à l'exercice des cartes et des dés : l'argent en abondance, tout lui venant à souhait : heureux au jeu, ordinaire aux putains et garces, qu'il entretenait magnifiquement, et à grands frais : brave, la moustache relevée, la queue de cheveux pendante sur sa belle fraise, au bout de sa perruque noire, fendant l'air du bout de sa ronflante épée : bref, si plein de biens mondains et d'heur, que plusieurs portaient envie à cet imaginaire bonheur, lequel étant arrivé à sa plus haute et dernière periode, fut reconnu non pas bonheur, mais malheur, triste et déplorable : et a on reconnu depuis que ces biens si soudainement arrivés, voire comme champignons en une nuit, étaient venus de mauvais et illicite trafic, comme l'effet on a jugé la cause évidemment, à la vue de chacun, par un hideux spectacle, qui fut tel comme s'ensuit.

Le soir auquel prit fin ce bonheur si misérable, il ferma les porte et fenêtres de sa chambre : et comme il se dépouillait pour s'aller coucher, ayant dit plusieurs fois à sa femme qu'elle s'alla coucher, et elle n'y voulant neanmoins aller si tôt, le voyant (contrairement à son habitude) fort triste, pensif et abattu : sur ce on frappe à la porte de sa chambre, il ouvre, et voici 2 hommes habillés de noir qui se présentent, disant avoir quelque chose à lui dire : ayant parlementé ensemble, avec assez grand estrif, que la femme entendit, il disparurent à l'instant : lui rentra en la chambre, et ferma la porte, disant derechef à sa femme qu'elle aille se coucher; ce qu'à son commandement elle fit : il se promena quelque peu par la chambre, soupirant profondément, et tout soudain ne fut plus vu, sans que porte ni fenêtres fussent aucunement ouvertes : et ne resta pour enseignes de son départ et enlèvement que son bonnet de nuit à terre, et ses pantoufles de chambre, qu'il avait aux pieds : la pauvre femme demeurant toute étonnée, stupide et demi-morte, ne voyant plus son mari, qu'elle venait de perdre de vue, tout soudainement cherche de tous côtés, mais il ne fut plus trouvé, il était déjà loin, il avait des rudes charretiers qui le hâtaient bien d'aller : Voila comment le diable, après l'avoir contenté quelque temps, et repu de vanité, l'a enlevé et mené où il a l'habitude de conduire ceux qui s'adonnant aux vanités du monde, se donnent à lui, et lui font hommage, lui donnant leur âme (qui est immortelle) pour du vent, de la boue et de l'ordure. [...]